Adonis|| En construction ... [OK]

« Hey ! Une pièce s'il vous plait ! S'il vous plait madame ! »

Je m'avançais, d'un bond léger. En même temps, le ventre vide ne pèse pas lourd sur Terre … où dans l'esprit de tous ces friqués qui passent sans tourner la tête vers la misère. « Combien de millions vais-je gagner en bourse aujourd'hui ? ». Et pendant ce temps, nous autres mendiants, oubliés, rejetés de la société, on peut mourir sur leurs routes pavés, leur seul soucis est de retirer les cadavres avant qu'ils ne pourrissent et qu'ils ne les importunent par leur forte odeur.

Je me pressais derrière une grosse femme comme à l'étroit dans sa robe de fourrure rosâtre. Et plus je m'approchais, plus elle se dandinait vite, la grosse dinde apeurée. J'abandonnais la partie. Décidément, l'humanité perdait jours après jours le peu de valeur qu'elle avait à mes yeux et ce, de façon radicalement exponentielle. Un jour peut-être, les gens cesseraient d'être cons.

Je soufflais, et des volutes de fumée se dispersaient dans le crépuscule inéluctable. Les étoiles, gardiennes glacées de mes nuits trop sombres, allumaient dans le ciel l'éternelle menace du dormeur des rues : et si l'obscurité inexorable signait la fin d'une vie qui ne faisait pourtant que de commencer ? Et si les ténèbres, en cette soirée d'hiver, venaient chercher l'âme d'un vivant qui ne connaissait rien du plaisir de vivre ? Et si la Fin ultime décidait d'intervenir, comme si le lecteur d'un livre, à peine eut-il parcouru les dix noires premières pages, sautait directement à la dernière ? Ainsi la Lune émergeant ne me rassurait jamais. Ainsi, à la tombée du jour, la multiplication des dangers, des peurs et des visions de la mort me semblait de moins en moins supportables.

« Arrêtes de jouer au poète Adonis, et trouves-toi un trou pour passer la nuit … ou t'enterrer. » me disais-je dans un français chantant.

L'avantage de la vie dans les rues, c'était que tout m'était connu. Je savais parfaitement quelle route utiliser pour se rendre rapidement et en sureté à la destination que je visais plus précisément qu'un GPS. Je savais même quel genre de personne je pouvais trouver dans tel ou tel quartier, sur quel commerçant compréhensif et émotif on pouvait se fier pour trouver de quoi manger dans les coups durs, quel passant il valait mieux ne pas déranger … Je n'étais pas un profiteur, au contraire. J'étais plus souvent généreux qu'égoïste, et je faisais de mon mieux pour distribuer mes maigres richesses à mes compagnons des trottoirs, de même que je ne volais (par nécessité évidemment) jamais les mêmes commerçants. Je n'abusais pas des rares hospitalités qu'un miracle m'offrait.

J'élisais domicile sur le banc d'un parc publique, plutôt à l'écart pour ne pas me faire détrousser de mes uniques biens : une guitare à la boiserie bien abimée, mais fonctionnelle, récupérée dans une poubelle et conservée dans un étuis de fortune ; les quelques recettes du jours dans une des poches du longs manteau noir et crasseux que je portais ; mon chapeau noir, lui aussi découvert dans une benne à ordure où logeait une famille de rats ; et ce petit collier en argent, que je n'avais pu me résoudre à vendre, dont le pendentif était une sorte de croc qui se détachait sur un croissant de lune.

J'accordais une valeur sentimentale à toute chose. J'étais assez sensible, et même particulièrement émotif, mais rares sont les gens qui devinent précisément mes émotions. De toute façon, le petit blond aux yeux bleus qui fait la manche, personne ne l'observe, personne ne veut le regarder. Alors le comprendre ! Et le Père Noël il travaille main dans la main avec la marmotte qui met le chocolat dans le papier d'alu' ! Ce que les gens ne savent pas en revanche, c'est que si les cartons que je tends pour demander un soupçon de leur or ne sont pas plein de fautes d'orthographes, ce n'est pas parce que j'ai demandé à un tiers de me l'écrire, non. Je suis intelligent, si tant est que l'intelligence se résume à être malheureux car fort conscient de la condition misérable de l'être humain. J'aime aller à la bibliothèque pour lire des livres, de la poésie et de la philo.

Je me suis endormi. Et j'ai rêvé. C'est pourquoi je me suis réveillé, en pleine nuit, conscient des millions de dangers qui rôdent. J'ai peur, je n'ai pas honte à me le dire. Je ne suis pas un héros, un de ces types merveilleux qui même lorsqu'ils ont peur, ils restent tout fiers et tranquille. Ils prennent deux coups dans la figurent, font la grimace pour faire monter le suspense, et dans les cinq dernières minutes, ils terrassent leurs adversaires avec une facilité déconcertante … Bravo bravo, vous qui n'existez pas. Car s'ils existaient, pourquoi ne me sont-ils pas venus en aide ?

Je suis un orphelin, et comme chaque soirs, lorsque le sommeil s'évade, je pleure. Et qu'ai-je à pleurer, moi qui n'ai aucun souvenir de ma vie passée ? Moi qui n'ai ni père, ni mère, ni proche à regretter. Moi qui ne suis qu'un gamin égaré dont personne ne se soucis. Oh assez du mélodrame !

Je me suis levé, et précipité vers les arbres. Alors mon corps a changé, comme je sais le faire depuis si longtemps que je ne m'en souviens pas. Alors mon esprit s'est enfuit et à laisser mon autre moi, mon loup, prendre ma place, apaiser ma douleur. Alors mon loup et moi, d'un même regard, nous avons déraciner un arbre, sans le toucher, juste avec l'esprit, pour s'épuiser. Harrassé de fatigue, j'ai repris forme humaine. J'ai le droit de pleurer comme un enfant. Je ne suis pas un héros. Je ne suis qu'un homme.


Adonis est un jeune homme qui s'est nommé lui-même ainsi après avoir lu des récits de la mythologie grecque. Adonis, dieu de la mort et du renouveau. Car il n'a aucun souvenir de sa vie passée. Il sait simplement qu'il a à peu près 17 ans, qu'il est un loup-garou et doué de télékinésie. Ce seul savoir, et son application à se contrôler (puisqu'il n'avait que ça à exploiter de sa vie), explique sa force qui n'est pourtant en rien comparable avec celle d'un loup-garou quelconque. En effet, il ne sait rien de l'existence des vampires, ou de semblables : il se croit seul et cela renforce son chagrin.

Adonis est le fils d'une longue lignée de loups-garou. Sa mère quand à elle était une sorcière occulte. Il est le fruit d'un véritable amour. Et pourtant, à l'âge de quatorze ans, des vampires s'en sont pris à sa mère. Un combat s'est engagé, dans lequel il a utilisé sa télékinésie si violemment qu'il s'est retrouvé projeté en arrière. Il sombra dans le coma et l'oubli. Pourquoi les vampires ne s'en sont-ils pas pris à lui ? Mystère. De toute façon, toute cette partie de sa vie a été effacée de sa mémoire, jusqu'à son propre nom …